Aly Alpha Kébé, est née et a grandi à Rosso, une ville mauritanienne qui s’étale à la frontière avec le Sénégal. Cet entrepreneur agricole, qui participe à des programmes sur la prévention des conflits et la promotion du dialogue interculturel se distingue par son engagement associatif. Il est par exemple le fondateur de l’association des « Jeunes au Service de Rosso » (AJSR), active sur les questions d’assainissement et de ramassage des déchets dans les quartiers de la ville. Au-delà de son action au niveau local, il est aussi le présidentdu mouvement panafricain« l’Afrique en marche ». Il a également été le vice-président de l’association « Agir pour la Santé et le Développement ».
Bonjour Aly, depuis quand es-tu un membre actif de la société civile mauritanienne ?
J’ai connu le secteur associatif en 2013, au Sénégal, où j’étais parti en vacances. C’était pendant les inondations. J’y ai rencontré des jeunes sénégalais qui avaient un très bel esprit de solidarité Ils aidaient des familles en grandes difficultésà cause de ces inondations. J’étais content de contribuer, à leurs côtés, à des distributions de kits alimentaires, etc. J’ai été marqué par cet élan de solidarité.
Donc, dès mon retour en Mauritanie, je me suis dit que j’allais faire la même chose. A l’époque, on disait que la ville de Rosso était sale. Donc on s’est focalisé sur l’assainissement. J’ai mobilisé des jeunes et créé un groupe de bénévoles. On s’est ensuite inspiré de l’Association des Ressortissants de Rosso, des Mauritaniens de la diaspora, qui nous ont expliqué et montré comment faire pour transformer le groupe de bénévoles que nous étions en association officielle. Etnous avons pu lancer nos activités. Notre association n’a jamais eu de financements, nous avons toujours fonctionné sur nos propres moyens. Nous croyons en ce que l’on fait et en fonction de nos cotisations mensuelles et l’aide depersonnes bienveillantes, nous arrivons à rester présents. Nous sommes là, sur place, et nous innovons pour mettre des choses sur place.
Quel regard portes-tu sur l’évolution du secteur, après 10 ans d’engagement ?
Avant j’avais un peu l’image de groupes d’associations, de gens qui se réunissent mais qui ne jouaient pas le rôle qu’ils devaient jouer. Pour moi ce n’était pas très intéressant de voir des groupes qui se cotisent puis qui organisent des soirées. Aujourd’hui j’ai un peu changé d’avis même s’il y a encore, à mon avis, beaucoup d’efforts à faire concernant l’engagement des jeunes. Selon moi, il faut continuer à les sensibiliser pour que chacun puisse aider l’autre. Il faut surtout qu’on essaie de mettre en place des initiatives et qu’on continue à innover. Malheureusement, pour l’instant, on voit que des copier-coller… Le réel défi c’est d’innover ! Le monde évolue, donc les associations doivent essayer de faire autrement. Ceci dit, il y a des jeunes qui sont en train de faire des choses merveilleuses !
Quels sont pour toi les freins que rencontrent aujourd’hui les jeunes dans leurs initiatives associatives ?
Il y a énormément de défis parce qu’aujourd’hui, les jeunes présents dans le monde associatif, sont minoritaires. Je crois qu’ils ne comprennent pas bien ce qu’est la vie associative et qu’ils considèrent que c’est une perte de temps. De par mon expérience, j’ai l’impression que la plupart des associations leur ont donné une image qui ne correspond pas à la réalité. Je crois aussi qu’il y a trop d’associations qui ont été utilisées à des fins politiques, ce qui a rendu beaucoup de jeunes réticents.
D’un autre côté, il faut les amener à prendre conscience que leur engagement dans la vie associative est important. Quand on organise des actions d’assainissement dans les quartiers de Rosso, les jeunes qui vivent dans ces quartiers ne viennent pas nous aider. Pour eux, c’est le travail de la commune, ce n’est pas à eux de le faire. C’est ça le défi qu’on doit relever. Il faut mobiliser tous les jeunes, leur montrer que la vie associative est importante, que c’est important de travailler pour sa localité.
Justement, que vous a apporté votre expérience au sein du milieu associatif ?
Je n’ai pas eu le bac, et mon engagement associatif m’a permis d’acquérir un background qui me permetaujourd’hui de me confronter à des gens plus qualifiés que moi. Je participe à des rencontres avec des gens qui ont un doctorat, je suis invité à des panels où je m’assois avec des gens qui ont fini leurs études, qui ont des entreprises, tout ça… Pour moi,c’est la vie associative, l’expérience de terrain et le savoir-faire acquis qui m’ont aidé à en arriver là.
Les relations humaines au sein du secteur associatif créent aussi beaucoup d’opportunités. Le fait d’être une équipe, de travailler dans un groupe, c’est là que l’on voit la diversité. Tu travailles avec des gens qui viennent d’autres localités, tu rencontres du monde, des gens différents... C’est une diversité. Et ça va toujours t’accompagner dans la vie, d’avoir l’esprit d’équipe, de comprendre que tout le monde n’est pas obligé d’être d’accord avec toi, de faire des compromis, d’apprendre à encaisser des critiques… Et je perçois cela d’une manière très positive.Personnellement ça m’a aussi permis de développer mon carnet d’adresses, mon réseau, à travers différentes rencontres. Ca développe de fortes capacités de mobilisation. J’ai connu des gens qui se sont déplacés de l’étranger jusqu’ici pour nous soutenir dans nos activités ou nos actions.
Comment votre entourage perçoit votre engagement ?
Jusqu’à présent, cela reste un très grand défi parce que beaucoup nous disent « vous êtes en train perdre du temps », « ce que vous faites là n’est pas important »,« Vous n’avez pas des choses plus importantes à faire ? ». Je me rappelle quand on a mis en place notre association, des gens nous taquinaient en nous appelant « fiitoobbémbéddaji » ce qui veut dire en poular « les nettoyeurs des rues ». C’était difficile [rire] mais aujourd’hui beaucoup ont changé d’avis en voyant que nous défendons des causes nobles. Certains sont mêmes devenus membre de l’association.
Vous voyez vous toujours continuer dans l’associatif plus tard ? Avez-vous des ambitions politiques ?
Je vais rester dans la vie associative, je ne vais jamais lâcher. L’essentiel pour moi c’est que cela m’a forgé. Donc je ne pourrai jamais abandonner. Je serai toujours là, surtout pour la nouvelle génération qui va venir, pour les orienter, les aider. Donc oui ! Je serai toujours un acteur de développement. Et oui la politique, je m’y vois dans l’avenir. Aujourd’hui, quand on voit l’état de nos localités… Je pense que la vie associative a des limites. Il y a beaucoup de choses qu’on aimerait changer et qu’on ne peut pas changer. Pour changer les choses, il faut accéder aux instances décisionnelles.
Quelle est votre plus grande fierté au sein du milieu associatif ? Pouvez-vous nous parler d’une expérience particulière ?
Fin 2019, j’ai mis en place une initiative dénommée « forum national de partage de bonnes pratiques en matière de leadership et d’innovation ». Tout le monde disait que c’était impossible. Mais des consultants rencontrés lors de mes voyages se sont déplacés, à leur frais (!), pour venir passer une semaine à Rosso avec nous. C’était pour moi une réussite parce que ça a été médiatisé et les gens en ont parlé… Et surtout ce forum a permis de créer des débouchés pour plusieurs jeunes ! L’idée était d’inviter des jeunesayant des entreprises dans leurs pays et de montrer aux jeunes mauritaniens que c’est possible de réussir. Depuis le forum, certains jeunes ont créé leurs entreprises et sont aujourd’hui en train de gagner leur vie. Pour moi c’est une réussite totale ! Je peux donner plusieurs exemples !