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Au Sénégal : des cuisines au coeur du développement territorial ?


Depuis 2014, le Grdr porte plusieurs projets en lien avec l’alimentation scolaire au Sénégal. L’idée est de soutenir la mise en place de cantines approvisionnées par des exploitations familiales locales. Avec ces restaurants scolaires, de nombreux objectifs étaient visés, parmi lesquels : l’amélioration de l’assiduité et des résultats des élèves, la promotion du consommer local, l’évolution des pratiques culinaires et alimentaires.

Gwenaëlle de Jacquelot, coordinatrice du Grdr au Sénégal qui coordonne notamment les projets liés à l’alimentation scolaire, nous en dit plus.

Comment est venue l’idée d’une cuisine centrale ?

Le principal problème des cantines scolaires est le prix des repas. Nous avons réalisé une étude dans le département de Rufisque [un des quatre départements de la région de Dakar] qui a révélé que les parents pouvaient contribuer à hauteur de 100 FCFA par repas pour leurs enfants [1]. Or il est impossible de faire un repas équilibré avec 100 FCFA. Notre projet « Appui à la mise en œuvre du plan alimentaire du département de Rufisque » (Amopar) a mis sur pied une cuisine centrale qui délivre des repas aux cantines scolaires. L’idée derrière cette cuisine est de réaliser des repas équilibrés en grande quantité pour réduire le coût d’un repas à 300 FCFA. Pour compléter la contribution des parents, 200 FCFA sont issus de subventions.

D’où proviennent ces subventions ?

Actuellement elles viennent plutôt de fonds de coopération comme ceux de l’Agence française de développement ou du programme Pafao. Pour Rufisque, nous avons fait le pari que les entreprises locales pourraient cofinancer les repas des enfants. Notre objectif est d’amener le Conseil départemental à présenter son plan alimentaire territorial aux entreprises pour les inciter à devenir des partenaires sur le volet cuisine centrale [2].

Parallèlement, dans d’autres régions comme dans le bassin du fleuve Sénégal nous avons comme ambition de collaborer avec les diasporas. Nous essayons de voir de quelle manière elles pourraient appuyer les cantines scolaires à la fin du projet Niamde [3] en juillet 2022. Le projet a pour objectif d’améliorer la sécurité alimentaire et les conditions d’apprentissage de plus de 7 000 enfants fragilisés par la crise liée à la Covid-19 au travers d’un soutien à 57 cantines scolaires qui s’approvisionnent en circuits courts. L’argumentaire que nous leur présentons est aussi construit sur les externalités positives liées aux cantines scolaires en circuit courts. Nous incitons également les Inspections d’Académie à présenter des projets d’écoles avec un volet cantine scolaire afin qu’elles puissent bénéficier d’un appui du Fonds mondial de l’éducation.

Poursuivez-vous le plaidoyer pour obtenir davantage de fonds de l’État ?

Oui, nous continuons à mener ce travail de plaidoyer auprès de la Division des cantines scolaires du ministère de l’Éducation, avec notre partenaire Cicodev, notamment en lien avec le projet Reprosoc [4] portant sur la question de la protection sociale. Les cantines scolaires constituent un outil de protection sociale. Aujourd’hui, il n’y a pas de loi au Sénégal qui institue l’obligation d’organiser la restauration scolaire. Beaucoup de promesses ont été formulées sans que rien ne se matérialise. Notre objectif est d’arriver à obtenir une loi pour faciliter l’acquisition d’un budget. Dans ce sens, nous sommes en contact avec des parlementaires. Nous sommes en train de monter un groupe de travail multi-acteurs composé d’organisations (CNCR, Actionaid, Counterpart, le Pam, AVSF, Caritas, etc.) qui travaillent sur la thématique de l’alimentation scolaire. L’objectif de ce groupe est de mettre en place une campagne de communication à présenter aux parlementaires. Cicodev coordonne ce plaidoyer. Nous ambitionnons également d’intégrer le groupe des Partenaires techniques et financiers sur les questions d’éducation afin de présenter notre plaidoyer sur l’alimentation scolaire aux organisations qui y siègent.

Par ailleurs, nous menons une étude dans le cadre du projet Niamde. Elle concerne les départements de Rufisque, Linguère, Ranérou, Kolda, Vélingara, Bakel, Tambacounda, Ziguinchor, Oussouye, Bignona. L’ambition ici est de mesurer les impacts des cantines scolaires sur le niveau de scolarisation des enfants, la génération de revenus sur le territoire mais aussi sur les charges qui pèsent sur les femmes. Avec les résultats de cette étude, nous espérons pouvoir trouver de nouveaux messages pour promouvoir les cantines. Actuellement, les budgets destinés aux cantines sont dépendants des programmes extérieurs, de l’aide publique au développement. L’État finance les cantines mais les subventions restent dérisoires. En nous appuyant sur l’étude, nous voulons démontrer aux pouvoirs publics que l’argent investi dans les cantines constitue un investissement dans l’économie des territoires.

Des organisations internationales interviennent-elles sur ce volet des cantines scolaires ?

Nos deux projets Amopar et Niamde, sont financés par l’Agence française de développement (AFD). Le Partenariat mondial pour l’éducation (PME), délégué à l’AFD, a alloué un budget au Pam pour financer les cantines scolaires dans le cadre du Plan de riposte du ministère de l’Éducation nationale à la Covid-19. Pour faire fonctionner ces cantines, il faut également impliquer d’autres ministères, en plus de celui de l’Éducation. Le Pam est censé appuyer la création d’un groupe multi-acteurs portant sur l’alimentation scolaire composé de différents ministères. Ce consortium permettrait de mobiliser une diversité d’acteurs afin de mettre en place des actions de plaidoyer et proposer un projet de loi aux parlementaires. Le Grdr travaille avec le Pam en ce sens.

Est-ce que les procédures d’achats du Pam sont profitables aux producteurs locaux ?

J’ai l’impression qu’au Sénégal il y a une véritable prise de conscience de l’impact des achats en circuit court sur l’économie locale. Pour ses 637 cantines modèles, le Pam privilégie l’approvisionnement en circuit court. Dans son bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest situé à Dakar, le Pam a mobilisé une personne qui vient du Brésil [5] Cela témoigne du volontarisme à collaborer avec les producteurs locaux. Malgré cela, ça reste encore compliqué. La difficulté à changer les pratiques est d’ailleurs visible chez les cuisinières qui préparent les repas des cuisines centrales. Les cuisinières font parfois le choix d’aller s’approvisionner auprès des marchands les moins chers. Il y a un travail de sensibilisation à mener pour montrer que malgré le surcoût, acheter local est bénéfique.

Le Grdr continue-t-il à faire de la sensibilisation nutritionnelle ?

Oui, nous continuons ce travail. Ce qui pose problème dans la préparation des repas est la sur-cuisson des légumes qui détruit les vitamines, la sur-utilisation d’huile et de cubes Maggi. La réalisation d’un état des lieux de départ sur la population de Rufisque nous a permis de voir que les consommateurs ont une bonne connaissance de l’impact de leurs pratiques alimentaires. Cependant, cela reste sans effet sur les comportements. Nous prévoyons de mener des activités auprès de plusieurs groupes cibles pour identifier les leviers d’évolution des habitudes alimentaires. Réduire l’utilisation d’huile et des cubes induira des bénéfices sur le plan nutritionnel mais cela diminuera également le prix des repas servis dans les cantines.

Votre travail autour des cantines scolaires est-il lié à l’agro-écologie ?

Oui. Nous privilégions les fournisseurs qui font de l’agro-écologie ou de l’agriculture biologique. Parallèlement, nous soutenons une ferme-école agro-écologique dans le département du Rufisque : la Ferme des quatre chemins. C’est elle qui va livrer les légumes bios à la deuxième cuisine centrale que nous sommes en train de monter.

Propos recueillis et édités en avril 2021 par Hélène Basquin Fané et Chikomborero Gonese (CFSI)


Pour en savoir plus, découvrez le podcast ’Sénégal : quelle alimentation dans les cantines scolaires ?’ !


[1À titre de comparaison, dans d’autres territoires du pays, la contribution des parents équivaut à 50 FCFA. Elle se fait en nature (apport de céréales, réalisation de jardins ou des champs communautaires).

[3Terme signifiant “je mange” Haal puular. Projet mené en consortium avec AVSF et en partenariat avec Caritas Tambacounda et Cicodev.

[4Renforcement de la société civile pour une politique de protection sociale efficace au Sénégal.

[5Au Brésil, en exigeant qu’au moins 30 % des fonds alloués aux cantines scolaires publiques soient destinés à l’achat de produits issus de l’agriculture familiale locale, le programme Fome zero (“Faim zéro’) lancé en 2003 a eu un vrai impact sur les producteurs pour travailler sur ce volet.


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