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Les paysannes, artisanes d’une huile de palme durable

En Guinée-Bissau et au Sénégal, grâce au soutien du CFSI et de la fondation de France, le Grdr accompagne des groupements de femmes qui produisent une huile de qualité issue de palmiers sauvages. Ces arbres sont, pour la plupart, intégrés à des agrosystèmes forestiers d’une grande biodiversité. L’huile de palmiers sauvages, dite huile rouge, a un usage avant tout alimentaire mais aussi médicinal. Son importance nutritive (vitamine E, bétacarotène, etc.) est bien connue.

Rencontre avec Abdou Seydou Mané, référent « développement rural » au Grdr.

Pourquoi produire une huile de palme durable en Guinée Bissau ?
La Guinée Bissau exporte très massivement la noix de cajou. L’explosion des prix (1 000 FCFA/kg aujourd’hui contre 250 il y a trois ans) rend cette filière très attractive. Une telle orientation vers la monoculture est dangereuse. Si le pays ne diversifie pas son agriculture, il se produira une véritable catastrophe dans le cas où le prix de la noix de cajou venait à chuter.

L’huile de palme, appelée communément huile rouge, est un produit de consommation courante dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Dans la région de Cacheu, les productrices s’inquiètent de la dégradation des palmeraies et souhaitent garantir la qualité de leur huile. Même quand elles forment des groupements, elles travaillent seules la plupart du temps, au sein du ménage, et disposent de peu de matériel et de compétences techniques. Elles n’ont pas le poids nécessaire pour lutter contre l’expansion de la filière cajou. Bien qu’il existe des règles de gestion pour les palmeraies collectives, elles ne sont pas épargnées par la pression foncière. Dans les villages, on évoque de possibles relais d’influence de l’État qui a intérêt à maximiser les recettes d’exportations.

Quelles sont les solutions ?
Notre posture est d’accompagner les demandes des populations et d’approfondir les connaissances sur le sujet par de la recherche-action.
Nous avons animé un cadre de concertation avec les populations, les autorités locales, les services de l’État. Des règles de gestion des palmeraies, complémentaires aux règles existantes, ont été proposées pour chaque zone. Nous les avons résumées dans un cahier de bonnes pratiques. Contrairement à une charte communautaire accompagnée de sanctions, le cahier de bonnes pratiques se limite à la définition de règles pour la gouvernance citoyenne des palmeraies. Sa force est de représenter à la fois le cadre réglementaire (car approuvée par la puissance publique) et le reflet des usages décidées par les communautés. Pour garantir son application, notre avons formulé une hypothèse : si les revenus de l’huile augmentent grâce à une montée en gamme en termes de qualité, les pratiques d’entretien des palmeraies évolueront dans le bon sens. Nous pensons que nous pouvons à la fois rémunérer les populations et protéger les écosystèmes forestiers qui abritent les palmiers à huile.
Nous menons aussi des études de suivi de l’occupation des sols dans la région pour connaître la réalité de la régression des palmeraies.

Comment améliorer la qualité ?
L’envie de produire une huile de qualité était déjà présente chez les femmes de la région mais les techniques variaient d’une zone à l’autre. La formation et les équipements faisaient défaut. La première étape a été de définir précisément, et de manière concertée avec les consommateurs, les caractéristiques attendues d’une huile de qualité. Une fois le consensus atteint sur la technique de production, un cahier des charges servant de guide a été diffusé dans les villages. Ce cahier des charges inclut des règles au niveau de la cueillette pour la pérennité de la production.
Nous avons construit des unités de production dans trois villages pour avoir un lieu commun qui facilite les échanges de techniques et le suivi de l’utilisation du matériel (presse à huile, bâches…). Ces équipements coûteux diminuent la pénibilité du travail et améliorent la qualité de l’huile. Nous les fournissons sous conditions. Les transformatrices doivent établir collectivement un plan de gestion du matériel qui atteste de leur capacité à s’organiser. Ce faisant, une autoformation a lieu et elles consolident leur capacité de gestion. Concrètement, elles ont intégré dans leur groupement un homme qui s’occupe de la maintenance du matériel. À chaque utilisation de la presse, elles payent une petite redevance en nature, et l’huile ainsi collectée rémunère le travail de maintenance. La production a augmenté car davantage de femmes se sont impliquées dans l’activité.
Beaucoup de villages auraient aimé bénéficier de cet appui en matériel. Ce qui est intéressant, c’est que les techniques de production de l’huile de qualité ont essaimé dans les villages de la région, grâce aux liens de parenté, au fait que les gens se déplacent beaucoup. Et certains villages ont construit des unités collectives de production de l’huile par leurs propres moyens. Il faut souligner que beaucoup de groupements existaient déjà dans la région, regroupés en fédération, et que la solidarité pré-existait au sein des groupements. Ce sont des facteurs favorables à la diffusion d’une innovation.

Quelle stratégie commerciale avez-vous adoptée ?
Nous n’avons pas de nom particulier. Il est préférable de se référer au village, par exemple « huile de Ponta ». Il n’y a pas d’étiquette non plus car les consommateurs de Ziguinchor ou de Bissau savent reconnaître une huile de qualité grâce à sa couleur (rouge), son odeur, son goût et sa texture (elle ne coagule pas). Les clients différencient facilement les huiles présentées sur les marchés et points de vente.
L’accès au marché de l’huile de palme durable est un succès. La demande est toujours supérieure à l’offre car les consommateurs sont rassurés sur la qualité de l’huile. Le prix de vente a augmenté, passant de 1 000 FCFA le litre à 1 250 en Guinée Bissau et même à 1 300 sur le marché de Ziguinchor au Sénégal.

Les revenus des femmes ont donc augmenté ?
Oui, grâce au prix et aux gains de productivité avec le nouveau matériel, les femmes vendent de plus grandes quantités d’huile. La demande en huile de qualité est forte et grandit, elle reste supérieure à l’offre.
Pour garantir cette bonne rémunération, les productrices doivent exploiter les palmeraies de façon durable. Au départ, elles ne se souciaient pas vraiment de la préservation des palmeraies mais, grâce au cadre de concertation, elles ont compris l’intérêt de cette gestion durable. Ce sont les hommes qui récoltent les régimes de palme, la cueillette nécessitant une grande force physique. Mais comme les femmes gèrent l’ensemble de la production et les revenus du ménage, elles sont en mesure de convaincre les hommes de préserver les palmeraies.

Qui contrôle le respect du cahier des charges ?
Il n’y a pas de véritable contrôle du Grdr ou d’une autre instance. Si les techniques de qualité ne sont pas respectées, la sanction est directe car l’huile de mauvaise qualité se remarque facilement. Il peut arriver qu’une des productrices fasse une erreur mais elle sera vite corrigée par les autres membres du groupement, conscientes de l’intérêt du cahier des charges pour vendre l’huile à bon prix. Ainsi, les unités de production ont pour vertu l’autocontrôle et le partage de technique entre les productrices.

Le Grdr a une expérience similaire de l’autre côté de la frontière au Sénégal…
Oui, nous notons des similitudes : détermination participative des caractéristiques de l’huile de palme de qualité, création d’unités de production… Le constat est le même au sujet de la reconnaissance de la qualité : si l’huile est écoulée dans un périmètre géographique restreint, les liens interpersonnels suffisent à garantir qu’une appellation donnée correspond bien à une origine et une qualité connue.
Mais les contextes sont différents car l’État sénégalais délivre un label de qualité sanitaire, la certification FRA. Bien souvent, l’huile est vendue sans cette garantie. Nous nous sommes posé la question en comparant avec la Guinée-Bissau de la véritable efficacité de l’étiquette FRA. Le problème est qu’il n’y a pas de sécurisation du label et que les étiquettes peuvent être réutilisées pour valoriser des huiles qui ne sont pas de qualité.
En revanche, l’étiquette FRA permet d’atteindre de nouveaux marchés, par exemple lors de la Fiara à Dakar [à plus de 400 kilomètres de la zone de production]. Un groupement de productrices de Ouonck, accompagnée par le Grdr, a pu écouler 350 litres d’huile lors cette foire à un prix avantageux couvrant les frais additionnels de transport et d’emballage. Les productrices de Ouonck ont misé sur le conditionnement pour faire ressortir la qualité de leur huile : emballage plastique neuf, étiquette mettant en avant le terroir et les apports nutritionnels, et enfin double certification FRA et « GIE Kadiamor » (groupement d’intérêt économique de Kadiamor) montrant que l’unité de production était formalisée et enregistrée.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience de vente à Dakar ?
Réussir une telle expérience n’est pas à la portée de toute unité de production. Dans les filières agroalimentaires, la division du travail est plutôt la norme (les producteurs ne font que produire, les transformateurs ne font que transformer, les intermédiaires ne font qu’acheter et revendre, etc.) alors que, pour bon nombre d’expériences de certification, les producteurs doivent acquérir des compétences commerciales.
Ensuite, le travail sur de nouveaux marchés peut transformer des relations établies de longues dates, notamment avec les intermédiaires (bana bana). Il est intéressant de remarquer que les femmes du GIE de Ouonck n’ont écoulé qu’une petite partie de leur production annuelle à la Fiara, tant dans le souci de limiter les risques financiers (on ne connaissait pas le résultat économique de l’opération) que de préserver des liens établis de longue date avec les intermédiaires.
Enfin, le renchérissement des coûts risque de placer les produits locaux de qualité hors de la portée des consommateurs modestes. Mais on peut aussi imaginer que les produits locaux certifiés puissent bénéficier d’exonérations de taxes ou autres avantages, étant donnés leurs multiples effets positifs (création d’emplois, valorisation d’un terroir, préservation de l’environnement en cas d’application d’un cahier des charges en ce sens, etc.) C’est une piste de plaidoyer pour l’avenir.

Propos recueillis en nov. 2017 par Alexandra Merli (CFSI), complétés par une contribution d’Yvan Lecoq au forum de discussion en déc. 2017. Photos © Grdr

Pour creuser le sujet :
Etude, Enjeux de la filière huile de palme en Guinée, 2012
Fiche-innovation, Une huile d’arachide labellisée, 2014
Atlas, Un littoral en mouvement, Grdr, juin 2017

Le programme Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest (Pafao) est porté par la Fondation de France et le CFSI. Il bénéficie de la contribution de la Fondation JM.Bruneau (sous égide de la Fondation de France) et de l’Agence française de développement. Seed Foundation participe également au volet capitalisation du programme. Le Roppa est membre du comité d’orientation et de suivi du programme.


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