LÂ’apprentissage de la démocratie nÂ’est jamais évident. Au Sénégal, au Mali, comme en France dÂ’ailleurs, les sondages comme les études dÂ’opinion ou la simple observation révèlent cette profonde envie de changement. Mais elle sÂ’exprime différemment : le plus souvent par des slogans, des programmes et des élections mais parfois plus brutalement par des Coups dÂ’Etat. Au Mali, le 21 mars 2012, à la date anniversaire des 21 ans de la révolte estudiantine qui avait marqué la fin du règne de Moussa Traoré et seulement 5 semaines avant la date du premier tour des élections présidentielles à laquelle le Président sortant avait assuré ne pas se représenter, les mailles de la chaine démocratique ont sauté les unes après les autres. ORTM, Palais présidentiel, leaders politiques, riches commerçants ont été attaqués, pillés et occupés par des militaires « de rang  » qui ne supportaient plus les collusions entre leur hiérarchie et les mouvements de rébellion au Nord, la corruption (népotisme, clientélisme) généralisée du plus haut sommet de lÂ’Etat jusquÂ’à la base et l’« incompétence  » des hommes chargés de construire leur avenir commun.
Il est normal de condamner ce putsch et dÂ’abord par principe. De même, a postériori, il lÂ’est tout autant de douter de la faisabilité dÂ’organiser ces élections aux dates indiquées, notamment au Nord avec un mouvement rebelle incontrôlable, sans revendication claire mais allant de victoire en victoire. Les hypothèses dÂ’avenir sÂ’annonçaient sombres et depuis un mois le pays parlait de transition davantage que dÂ’élections. Au final, il est nécessaire et possible de déceler trois lueurs dÂ’espoir dans cette tempête de sable venue obscurcir encore un peu plus lÂ’horizon.
Au niveau de lÂ’information dÂ’abord : « La presse malienne étudiera-t-elle un jour ses responsabilités dans le bordel actuel ?  » (Twitter, Fabien Offner, 27 mars). De Montreuil à Bamako en passant par Kayes, tout un chacun a pu sÂ’apercevoir de lÂ’absence totale dÂ’informations fiables sur la situation. Malgré une vingtaine de titres sur la place (presse papier relayée sur www.maliweb.net) et de nombreux sites spécialisés (journaldumali.com, malijet.com), aucune exception ne sort du lot : jusquÂ’aux traductions de RFI qui semblent à mille lieux du quotidien Bamakois et dont le parti pris relève parfois du répréhensible ! Dès lors, si en étant connecté à Internet, nous pouvions encore croiser les quelques données disponibles. Mais combien de Maliens sont connectés ? Dès lors, les rumeurs et les interprétations circulent rapidement entre les quartiers de Bamako et jusquÂ’au Foyer de la rue Bara à Montreuil ! Les nouvelles technologies qui ont animé le printemps arabe nÂ’ont pas la même ampleur au Sahel. Il est impératif de réfléchir au rôle des médias qui nÂ’ont définitivement pas les moyens de replacer les choses dans leur contexte et de restituer l’information juste ?
Au niveau de la communauté ouest africaine ensuite : La question du Mali dépasse les frontières de lÂ’Etat. CÂ’est lÂ’histoire de ses relations avec le Niger, la Côte dÂ’Ivoire, le Burkina Faso et le Sénégal qui est interrogée ici. Ainsi que des liens qui unissent le Mali, la Mauritanie et lÂ’Algérie autour de la gestion du Sahara (commerce, trafics, terrorisme). Et enfin, il est question du rapport filial que le Mali entretenait avec la Lybie de Kadhafi et des conséquences collatérales de lÂ’intervention des Nations Unies qui nÂ’ont été ni anticipées ni analysées. La CEDEAO sÂ’est emparée très rapidement de ce problème et en associant la Mauritanie comme lÂ’Algérie (à Abidjan et Dakar). CÂ’est sans nul doute une excellente nouvelle même si les mécanismes ne sont pas encore bien rôdés et les attitudes parfois encore incomprises. Mais les problématiques de coopération transfrontalières, creuset de lÂ’intégration régionale, reviendront rapidement comme des vecteurs de prévention des risques et les conflits et de développement, de savoir vivre-ensemble et de maintien de la paix.
Au niveau du rapport à la citoyenneté enfin : Car contrairement à ce quÂ’on lit ici ou là , lÂ’intégrité du Mali est lÂ’affaire de tous. La lecture ethnique de lÂ’organisation géographique et sociale du pays est comme dÂ’habitude à courte vue : il apparaît que chaque Malien vit comme un déchirement les évènements au Nord. Le métissage est ancien et les familles entrelacées ont tous un Touarègue, un Maure, un Peul ou un Songhai dans leur arbre généalogique. Les pleurs déchirants entendus dans la cour du GRDR à Bamako le jour de la prise de Kidal (à 2 000 kms, 30 mars) soulignent ces réalités. Et les motifs dÂ’espoir tournent autour de la cohésion sociale : les organisations de la société civiles se sont mobilisées rapidement pour analyser les enjeux et proposer un calendrier de « transition  ». Mariam Maguiraga a été déléguée par la plate-forme des ONG de Kayes pour participer avec lÂ’ensemble des représentants des plates-formes régionales du Mali à ce travail à Bamako (29-31 mars). Ces organisations comprennent lÂ’évènement comme une occasion de « reconstruire une société plus égalitaire et solidaire  ». Cela prendra du temps car cÂ’est lÂ’ensemble des pratiques de gouvernance quÂ’il faut renouveler et les hommes et les femmes capables dÂ’atteindre cet objectif sont rares. « Si les Maliens doivent souffrir, ce sera pour assurer des lendemains meilleurs o๠lÂ’Assemblée nationale sera non plus la marionnette dÂ’une oligarchie mais bien au service du peuple malien !  ». Il a quelques mois, un ami artisan mÂ’avait dit : le pêché originel de la démocratie au Mali date dÂ’Alpha Oumar Konaré qui nÂ’a « jamais appris aux Maliens ce quÂ’est la démocratie  ». Peut-on envisager quÂ’il sÂ’agit là dÂ’une nouvelle chance que les Maliens sÂ’empresseront de saisir ?
Au final, entre remord et inquiétudes, colère et espoirs, nous avons déjà la satisfaction de voir que la microsociété que le GRDR représente a démontré quÂ’un monde solidaire est possible : la mobilisation des équipes, des COS et des membres du CA, les messages dÂ’attention particuliers de Nouakchott à Canchungo, les appels skype de Ziguinchor à Lille, lÂ’accueil des équipes de Bakel et Dakar, la motivation des chauffeurs et enfin la détermination de lÂ’équipe de Kayes à conserver leur volonté dÂ’avancer malgré les évènements est sans nul doute notre meilleur motif dÂ’espoir. DÂ’ailleurs, les principes clefs de lÂ’approche territoriale que nous mettons en place à travers les processus de développement local – mutualisation des savoirs, partage du pouvoir, répartition des richesses – aussi bien que les interdépendances sur le double-espace de la migration trouvent ici un écho définitivement favorable et un terrain dÂ’émancipation sans limites.
Olivier Le Masson - Directeur Afrique, GRDR Mali et Mariam Maguiraga - Coordinatrice de la cellule de Kayes, Mali