Crée en 2008 par le Conseil Régional de Kayes, l’Espace Migration et Développement en Région de Kayes (EMDK) est une plateforme qui réunit l’ensemble des acteurs impliqués dans la relation migration-développement de cette région du Mali. Il s’agit tout autant d’un cadre de concertation et de partage que d’un espace qui contribue aux débats sur les politiques migratoires régionales, nationales, voire internationales. Ainsi, il est une force de proposition afin d’intégrer les mobilités en tant que facteurs du développement territorial et moteur de la coopération.
La région de Kayes est, avec celle de Sikasso, une des régions du Mali les plus concernées par les migrations internationales. A tel point qu’elles y sont perçues comme le levier principal de développement local. En effet, les ressortissants kayésiens installés à l’étranger contribuent, depuis 50 ans, au développement et au dynamisme de leur région d’origine à travers des transferts de fonds, de compétences et de savoir-faire. De plus, ils ont une réelle capacité de mobilisation (coopérations décentralisées, entreprises, ONG, agences nationales …), y compris dans leur pays d’accueil, particulièrement lorsque ceux-ci sont en Europe.
Mais en dépit de l’importance que ces mobilités ont à l’échelle de la région de Kayes, celle-ci n’a pas de politique spécifique sur la migration. Seules les autorités nationales, basées à Bamako, gardent la main sur cette question qui soulève de forts enjeux de souveraineté politique et diplomatique. Du coup, les autorités régionales et les acteurs locaux se sont organisées pour faire vivre le dialogue autour de quatre objectifs : produire des connaissances fiables sur les dynamiques migratoires, analyser les enjeux liés aux migrations, proposer des actions spécifiques et faire entendre leur voix aux échelles nationales et supranationales.
A ce jour, 161 structures (collectivités locales, services déconcentrés de l’Etat, associations de migrants en France et en Côte d’Ivoire, ONG…) sont membre de cet espace qui s’est doté d’une charte et de valeurs communes. Le défi est désormais de s’ouvrir aux acteurs économiques (GIE, banque, IMF, MPME, commerçants, coopératives, mutuelles…).
A ce jour, l’EMDK s’implique dans des actions de communication et de sensibilisation auprès de la population kayésienne. Par exemple, lors des drames d’avril dernier lorsque 800 personnes, parmi lesquelles une centaine de personnes originaires de la région de Kayes, se sont noyées en Méditerranée. L’EMDK a alors recensé les victimes et organisé une campagne d’informations en faisant intervenir des députés et des responsables des principales institutions à Bamako, mobilisant les médias régionaux, nationaux et même internationaux (BBC).
De même, lorsqu’en juillet 2014 quatre vingt six maliens (dont une majorité de jeunes de la région de Kayes), se sont noyés au large des côtes libyennes, une mission dans les villages d’origines des victimes avait permis de recueillir le ressenti des familles de naufragés, instaurant un dialogue avec les jeunes, les parents et les autorités locales (élues, administratives, coutumières)… L’objectif était tout à la fois de comprendre pourquoi les candidats à l’émigration sont prêts à prendre de tels risques, d’identifier le fonctionnement des filières migratoires et d’élaborer des pistes de travail pour que cela ne se reproduise plus.
Ces connaissances seront partagées et analysées à l’aune des politiques migratoires régionales et nationales en cours de d’élaboration. Elles donnent à l’EMDK une légitimité croissante pour apporter des réponses. A ce jour, il dispose d’une cartographie complète de la migration de la région, d’un répertoire des projets de co-développement locaux et d’une proposition de stratégie migratoire régionale soumise à l’analyse et au vote du Conseil Régional de Kayes. C’est cette expertise qui lui a valu de participer, depuis aoà »t 2011, à l’étude pour l’élaboration de la politique nationale migratoire du Mali et de souligner l’importance qu’il y a de prendre en compte les réalités et les besoins spécifiques de chaque territoire.
Mais dans le même temps, le développement de l’industrie extractive minière et la croissance urbaine font de la région un poumon économique au carrefour de trois frontières (Mali-Mauritanie-Sénégal). A son tour, Kayes devient une terre d’immigration. De plus en plus, l’insertion des populations immigrées, leur implication dans la vie citoyenne locale, l’identification et la valorisation des compétences des migrants (y compris ceux de retour) devient un enjeu de cohésion sociale.
Enjeu qui se décline dans l’ensemble du Bassin du Fleuve Sénégal, o๠l’expérience de l’EMDK commence à se diffuser. Un espace similaire a vu le jour en 2013 dans le Gorgol, en Mauritanie. D’autres sont envisagés au Sénégal oriental (Matam/Bakel), en Casamance (Sédhiou), à Cacheu (Guinée-Bissau) et même dans le Nord Pas de Calais en France o๠l’idée fait son chemin. Une démarche qui à terme doit aboutir à une compréhension claire des mobilités humaines en tant que richesses territoriales et sources de solidarités. Envisager un tel espace à l’échelle sous-régionale pouvant être un interlocuteur des politiques africaines (CEDEAO, UEMOA, UA) voire Européenne (UE) et internationale est l’ambition des promoteurs de cette initiative dont le Grdr fait partie.